Le 12 avril 1961, le cosmonaute Youri Gagarine décolle du cosmodrome de Baïkonour pour inaugurer l’ère des vols spatiaux habités à bord du vaisseau Vostok-1. Soixante ans plus tard, l’ISS célèbre vingt ans de présence humaine dans l’espace, et je vous propose aujourd'hui un dossier dédié à l'histoire de ces structures qui repoussent nos limites et grâce auxquelles l’Homme a réussi à apprivoiser l’espace!
La première station spatiale (1971)En 1923, le physicien Hermann Oberth imaginait déjà dans son livre The Rocket Into Interplanetary Space placer en orbite des fusées pour les utiliser comme station de ravitaillement et comme point d’observation de la Terre. Mais comme je vous l’expliquais dans le dernier dossier consacré aux satellites, il faudra attendre le début de la guerre froide et le lancement de la course à l’espace, pour que l’Union Soviétique soit le premier des deux blocs à réaliser le rêve de l’ingénieur austro-hongrois en mettant en orbite la toute première station spatiale. En effet, suite à l’échec de leur programme lunaire, les soviétique concentrent leurs efforts sur le programme Saliout, officiellement un projet de station orbitale civile, il permettra de développer dans le plus grand secret les stations Almaz destinées à espionner l’ennemi américain. Les premières stations construites par l’URSS sont dites “monolithiques”, c’est-à-dire composée d’un unique bloc placé en orbite par la fusée soviétique Proton.
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C'était le cas de de Saliout-1, un cylindre d’une quinzaine de mètres de long, qui une fois raccordée au véhicule de service Soyouz, s’apparente à un satellite “deux pièces” équipé de 4 panneaux solaires. Les stations Saliout pouvaient accueillir jusqu’à trois membres d’équipage pour y mener différentes expériences scientifiques, et le programme soviétique donnera naissance à plusieurs modèles dont trois stations de reconnaissance militarisées Almaz, pour finir avec la station Saliout-7 qui sera abandonnée avec la mise en service de la station MIR dans les années 1980.
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La réponse américaine: la station skylab (1973)A l’Ouest, la réponse américaine s’organise et l’armée de l’air envisage elle aussi la construction d’une station d’observation habitée avec le programme MOL (Manned Orbital Laboratory) qui devait permettre d’espionner les soviétiques depuis l’espace, mais le projet est rapidement abandonné face au développement des satellites espions KH, moins coûteux et automatisés. Pour construire la première station spatiale américaine, la NASA décide d’utiliser le troisième étage d’une fusée lunaire Saturn V, et crée Skylab, un laboratoire orbital long de 35 mètres, lancé en mai 1973. Des trois missions habitées du programme, on retiendra l’image des astronautes américains profitant des 7 mètres de diamètres de leur module principal, appelé l’atelier orbital, pour y effectuer des figures de gymnastique impressionnantes en impesanteur, ou encore le sourire de l’astronaute Charles Conrad à la sortie de ce qui sera la toute première douche spatiale. La station, qui sera occupée six mois au total, accueillera en novembre 1973 son dernier équipage pour un séjour de 84 jours en orbite terrestre, notamment pour étudier la capacité de l’Homme à supporter l’absence de gravité, observer la surface du soleil et tester de nouvelles techniques de télédétection des ressources terrestres grâce à différents instruments scientifiques.
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Mais l’histoire de Mir sera aussi marquée par plusieurs incident, dont la collision avec un véhicule cargo qui causera une dépressurisation de la station, et l’état général du laboratoire orbital se dégrade peu à peu provoquant plusieurs incidents majeurs, comme le 23 février 1997 lorsque la défaillance d’un générateur d’oxygène entraîne un incendie qui remplie la station de fumées toxiques pendant 45 longues minutes. Malgré ses imperfections, Mir survit à 15 longues années de service avant d'être finalement désorbitée au-dessus du Pacifique en 2001, et la station aura été un formidable outil pour nous former à la vie dans l’espace, tout en préparant la mise en service de la future station spatiale internationale.
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La station Mir (1986-2001)A l’Est, l’Union soviétique profite du succès de leur programme Saliout pour lancer en 1986 la construction de la station MIR, la première station modulaire, c’est-à-dire dont les modules sont construits séparément sur Terre pour être assemblés pièce par pièce dans l’espace, à l’image d’un lego géant. Mir, avec ses sept modules, sera la plus grosse construction humaine réalisée dans l’espace jusqu’à la fin de sa mission en 2001, et permettra notamment au cosmonaute Valeri Polyakov d’établir le record du plus long séjour dans l’espace en restant 437 jours à bord de la station russe. Initialement prévue pour durer 5 ans, Mir reçoit après la dissolution de l’union soviétique la visite d’astronautes de différents pays, et le programme de coopération russo-américain Shuttle-mir marque la fin de la guerre froide, notamment avec l’image symbolique de l’arrimage de la navette spatiale américaine en 1995.
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L'ISS: la station spatiale internationaleCe laboratoire géant imaginée par la NASA dans les années 80, est développé conjointement avec l'agence spatiale fédérale russe et avec la participation des agences spatiales européenne, japonaise et canadienne, pour être placé en orbite basse en 1998. A 400 km d’altitude, l’ISS est facilement visible depuis la Terre puisque c’est le deuxième objet le plus brillant dans le ciel après la Lune, et la station prend la relève de Mir est devenant le plus grand satellite artificiel de notre planète. En effet, si à sa mise en service, l’ISS n’était qu’un embryon constitué de trois modules: Zarya pour assurer la propulsion, Zvezda qui servait de centre de contrôle, et Unity pour connecter l’ensemble de la station, l’ISS est aujourd’hui un mastodonte de 420 tonnes et 110 mètres de long, composé de 16 modules pressurisés! Depuis sa mise en service, la station a permis à des douzaines de nations de mener des milliers d’expériences, la plupart dédiées à comprendre l’impact de la microgravité sur le corps humain, un phénomène que l’on appelle aussi l’impesanteur.
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L'impesanteur, c'est quoi? |
Comme on l’a vu dans le précédent dossier sur les satellites, l’ISS gravite autour de la Terre et compense l’attraction terrestre grâce à sa vitesse de satellisation, qui en orbite basse avoisine les 8 km par seconde. Si les astronautes semblent flotter dans leur station spatiale, c’est parce qu’ils tombent à la même vitesse que leur vaisseau, comme l’explique l'astronaute Thomas Pesquet: “Dans l’ISS, on est encore soumis à plus de 90% de l'attraction terrestre, mais nous sommes en chute libre permanente, tout comme la station autour de nous. La gravité s’exerce toujours, mais rien ne s’oppose à son action et la pesanteur ne se manifeste donc plus”.
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Dans l’ISS, on est encore soumis à plus de 90% de l'attraction terrestre, mais nous sommes en chute libre permanente, tout comme la station autour de nous. La gravité s’exerce toujours, mais rien ne s’oppose à son action et la pesanteur ne se manifeste donc plus
Vivre dans l'espace: les activités sportivesCe que décrit l’astronaute français, c'est en fait l’impesanteur ou la microgravité. Si ce ce phénomène peut être brièvement simulé à bord d’un avion zéro g, l’évolution ne nous a pas adapté à l’absence de gravité, et les séjours prolongés en apesanteur posent de nombreux problèmes: les muscles s'atrophient rapidement, les os perdent de leur masse et la circulation des fluides corporels comme le sang est complètement modifiée. Pour tenter de compenser ces effets, les astronautes font chaque jour 2h30 de sport à bord de la station spatiale internationale, notamment en faisant du vélo, de la course d’endurance ou encore des exercices de musculation sur des machines reproduisant la résistance de la gravité avec des cylindres pneumatiques.
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Dormir en apesanteurEntre les nombreuses expériences scientifiques et les séances de sport obligatoires, les astronautes ont besoin d’une bonne nuit de sommeil. Pour se reposer, l’ISS dispose de six cabines réparties dans différents endroits de la station, et les membres d’équipage disposent chacun d’un espace réservé pas plus grand qu’une cabine téléphonique. Grâce à la microgravité, pas besoin de lit ou d’oreiller, par contre, pour éviter de se cogner dans leur sommeil, les astronautes dorment dans un sac de couchage attaché aux parois de leur couchette, avec un ventilateur proche de leur visage.
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Sur Terre, c’est la différence de densité entre l’air chaud et l’air froid qui fait naturellement circuler l’air dans nos chambres, grâce au phénomène de circulation des fluides appelé convection. Dans leur cabine sans pesanteur, les astronautes pourraient donc s’endormir dans une bulle de dioxyde de carbone et s’intoxiquer avec l’air expiré pendant leur sommeil.
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Survivre dans l'espaceEn effet, au milieu du vide spatial, impossible d’ouvrir une fenêtre pour aérer: les modules pressurisés de la station sont un microenvironnement clos qui nécessite de nombreux arrangements pour maintenir l’équipage en vie. Dans le cas du traitement de l'air, le système Vozdukh du module russe Zvezda est chargé d’absorber l'excédent de CO2 expiré par les astronautes et d’éliminer les gaz toxiques grâce à des filtres à charbon.
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Pour remplacer les 5 kilogrammes d’oxygène respirés chaque jour par les astronautes, le module Tranquility est équipé de Life Support Systems, un ensemble de machines qui permettent de recycler l'eau et de régénérer l'oxygène de la station, en limitant les coûts astronomiques d’un ravitaillement par vaisseau cargo. Le Water Recovery System permet par exemple le recyclage d’un tiers de l’eau consommée à bord de la station, en condensant l’humidité créée par la transpiration naturelle des astronautes et en récupérant les urines de l’équipage, traitées séparément. Une partie de cette eau recyclée permet de produire de l’oxygène grâce à l’hydrolyse, un processus électrochimique qui divise les molécules d’eau en utilisant un courant électrique.
Et pour manger?Si les systèmes de support de vie permettent de générer de l’oxygène et de recycler 90% de l’eau consommée sur la station, l’ISS dépendent entièrement des cargos de ravitaillement pour pouvoir composer les trois repas quotidiens des astronautes. Bien que l’ISS soit équipée d’un four pour réchauffer les plats, il n’y a toujours pas de frigo à bord pour conserver la nourriture, et le menu reste donc encore principalement composé de repas en boîte, déshydratés et conditionnés sous vide. Malgré cela, les astronautes reçoivent parfois quelques fruits frais les premiers jours suivants un ravitaillement, et lors de sa mission Proxima, Thomas Pesquet a même eu la chance de déguster pour Noël et son anniversaire des plats préparés par deux grands cuisiniers français, Thierry Marx et Alain Ducasse!
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1965: L'incident du sandwich au boeufPour autant, pas question de se faire une belle tartine de foie gras dans l’espace, puisque le pain est interdit dans l’espace depuis l’incident causé par le sandwich au bœuf apporté en douce par l’astronaute John Young. En 1965, lors de la mission Gemini 3, les miettes du casse-croûte de contrebande dispersée par la microgravité ont failli coûter cher à l’équipage en obstruant un filtre ou en court-circuitant les systèmes électriques de leur capsule, mais cela n'empêchera pas Gus Grissom de trouver cette anecdote de voyage très amusante, déclarant plus tard: “Le visage impassible de John m’offrant cette friandise non réglementaire reste pour moi l'un des meilleurs souvenirs de notre vol."
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Un "Jet Lag" permanent?Imaginez-vous à bord de la station spatiale internationale, orbitant à 8 km par secondes, et voir par le hublot le soleil se lever et se coucher toutes les 45 minutes: à ce rythme, les astronautes voient donc le soleil se lever 16 fois en 24 heures, et pour éviter de vivre dans un état de décalage horaire permanent, il est indispensable pour régler l’horloge circadienne des astronautes. Pour rappel, le rythme circadien est une horloge biologique qui régule de nombreux processus physiologiques chez les plantes, les animaux et bien sûr chez les humains, en alternant une phase d’éveil grâce à la lumière du jour et une phase de sommeil grâce à l’obscurité de la nuit.
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Pour aider l’équipage à garder un rythme sain, les journées sur l’ISS sont donc rythmées comme sur Terre en journées de 24 heures, selon un emploi du temps basé sur le temps universel coordonné, c’est-à-dire à l’heure anglaise. Lorsque les astronautes commencent leur journée à 6 heures du matin sur la station internationale - les grasses matinées ne sont pas une option! - il est minuit à Houston et 9 heures du matin à Moscou!
Les stations spatiales sont aujourd'hui indispensables pour espérer un jour devenir une espèce interplanétaire, et même si l'ISS est aujourd'hui la seule station en fonctionnement au dessus de nos têtes, elle sera très bientôt rejoint par sa consœur chinoise. La Chine qui n'a pas accès à l'ISS pour des raisons diplomatiques va en effet lancer l'année prochaine sa propre station spatiale, dont on parlera certainement dans un prochaine article!
PH Le Besnerais
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